Retour sous les remparts

Dimanche 27 Janvier 2019-00:00:00
' Michèle Foulain

Comme prévu, l'église est pleine à craquer, Marie se fraie un passage pour rejoindre les rangs où se tient la famille de la disparue. 

Soizic, elle, se tient appuyée contre une colonne de pierre, le regard fixé sur le cercueil en chêne devant l'autel au début de la travée centrale. De chaque côté, des cierges diffusent une lumière douce, l'encens distille ses parfums. 

Le prêtre commence son homélie en retraçant la vie de Léopoldine, ses bonheurs, ses douleurs, ses combats. 

Chacune des personnes présentes peut ainsi feuilleter les pages d'un livre, le destin de cette grande dame de Saint-Malo. 

Soizic pleure sans retenue sur sa grand-mère, certes, mais aussi sur elle-même. Sa tendresse aurait pu apaiser les derniers instants de Léopoldine. Elle est restée à l'écart par lâcheté sans doute, mais aussi par orgueil. Maintenant, il est trop tard, elle ne peut plus rien rattraper, il ne lui reste que ses yeux pour pleurer. 

A travers le voile de ses larmes, elle observe les silhouettes des membres de la famille, sa famille. Bien qu'ils lui tournent le dos, elle pourrait les nommer un par un, tant leur souvenir l'habite. 

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Toute résistance vaincue, Soizic se laisse entraîner vers des escaliers immenses et sombres qui les conduisent sur un quai à la lumière aveuglante. Un wagon aux couleurs criardes arrive dans un bruit assourdissant pour qui ne connaît pas le métro. Sans ménagement, Marco la pousse à l'intérieur. Elle se fraye un chemin avec difficulté dans l'étroit couloir bondé de monde. Se retenant à une barre métallique, la jeune fille tente de conserver un équilibre. Elle observe, intriguée, ses voisins d'infortune : le visage fermé, le teint blafard, ils lui faisaient tous penser à quelques zombies échappés des profondeurs de la terre. Quelques odeurs de mauvaises sueurs se mêlent aux parfums bon marché. 

Soizic, déroutée, se dit :

- Ainsi, voilà donc les parisiens dont j'enviais tant la vie, sur mon rocher !

Régulièrement le métro s'arrête dans un vacarme sans pareil, une horde de passagers descend, une autre monte. 

Après vingt bonnes minutes de trajet, Marco lui fait signe qu'ils arrivent à leur station. Enfin ! Elle allait retrouver l'air libre. 

Après d'interminables couloirs, des escaliers encore et encore, ils débouchent dans une rue bruyante et grise, Marco paraît très à son aise, sa compagne beaucoup moins. Il semble ne pas remarquer son malaise. 

L'hôtel est à deux pas. 

Il la précède dans un établissement qui ne paye pas de mine, demande une chambre à un vieux bonhomme grincheux, dérangé dans la lecture de son journal :

- C'est pour combien de temps ? 

- Indéterminé !

Soizic, en entendant la réponse, frémit. Il a visiblement l'intention de la faire vivre dans cet hôtel sordide, si la chambre est aussi accueillante... Et elle l'est !

Le papier peint défraîchi, décollé par endroits, un lit recouvert d'une cretonne rouge qui n'a sans doute pas connu de lavage depuis bien longtemps, une petite table bancale, une chaise à la paille arrachée et une armoire au miroir fêlé. L'ensemble est triste à pleurer ...

 

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Les deux femmes ont tenu leur promesse, bientôt le carnet de commandes de Soizic ne désemplit pas. 

Lorsque la jeune femme fait la poussière dans sa vitrine, elle se surprend à caresser le panier de Léopoldine tout en lui parlant :

- C'est sans doute vrai que tu es habité par un bon génie. Si mon atelier marche aussi bien c'est à toi, que je le dois, mais surtout à ma chère grand-mère Léopoldine qui doit me protéger de là-haut...

Lucas se réjouit de l'arrivée du printemps, grâce à Gaëlle il est à présent un petit malouin aguerri, attendant impatiemment le dimanche, pour se rendre à la plage. Armé d'une épuisette, il traque crevettes et étrilles quand il ne patauge pas dans l'eau avec sa bouée canard. Pour le plus grand bonheur de ses mères et grand-mère qui se réjouissent de voir leur petit bonhomme aussi épanoui.